Singularités
d’une jeune fille blonde
Singularités
d’une jeune fille blonde
Un train, au Portugal, un homme visiblement préoccupé : soudain il se décide et lance à sa voisine « Ce que tu ne racontes pas à ta femme ni à ton ami, raconte-le à un étranger. » Avec une sympathie réelle, la femme inconnue, « étrangère » l’invite à se confier. Il faudra au spectateur une heure (la durée du dernier opus du centenaire Manoel de Oliveira) pour saisir et admettre la nécessité de cette étrangeté. L’opposé de cette étrangeté n’est pas ici le familier mais le singulier : la femme du train est « générale », celle de l’histoire que va nous conter le héros est, et de plus en plus, « singulière »…
Avec Singularités d’une jeune fille blonde, Manoel de Oliveira renoue avec la tradition romantique, avec la « magie » de l’image cinématographique qui en découlait directement. Premier signe de cette allégeance : l’image est seule, en majesté. Le cinéaste a banni la musique de fond. Seuls les bruits du quotidien ou encore le son d’une harpe en concert viennent troubler éventuellement l’œil du spectateur appelé à « supporter » la présence de l’image. L’épisode du concert est remarquable parce que l’image met au défi le son, la musique : à vrai dire, le combat est inégal car la beauté de l’image où le cinéaste a mis tout son génie est telle que le spectateur reste fixé à sa contemplation, refusant la « distraction » musicale. La musique est souvent le plus court moyen pour atteindre un niveau transcendant : sa réputation est fondée sur l’efficacité et la rapidité de cette expérience d’élévation au sublime. Manoel de Oliveira, comme d’autres cinéastes iconophiles, transfère à l’image ce pouvoir d’enchantement ou d’envoûtement.
Magie blanche ou magie noire de l’image ? Le cinéaste portugais est chrétien et comme tel, il vit comme nous tous dans une culture où l’image a été souvent mise en cause dans sa malignité ou son indignité. Pur reflet sans substance ou envoûtement diabolique, l’image est au coeur d’un débat, religieux au départ, qui a fini par caractériser toute la pensée européenne. Le cinéma et ses images s’inscrivent directement dans cette guerre de l’image. Manoel de Oliveira apporte sa contribution à cette histoire.
Ainsi le jeune homme du train qui veut se confier à une étrangère « vierge de toute image » est-il victime d’une vision qu’il a eu un jour depuis son bureau : encadré par les montants de la fenêtre en face apparaît, comme au cinéma, le visage d’une femme qui littéralement le fascine. Le merveilleux entre dans sa vie. Homme sérieux, comptable de son état, il voit tout à coup ses repères, son efficacité, son respect de l’ordre familial et social vaciller sous le poids de l’Image. Amoureux ? Epris d’une image, de l’Image. La jeune femme est « singulière » comme toute Image et le film sera l’exploration tourmentée de cette singularité : l’héroïne sera finalement victime de la « faute ». Ainsi se dissoudra le sortilège de son apparence : le rationalisme du comptable prendra le dessus, amenant le héros à plus de raison sinon à plus de bonheur.
Le dernier regard du cinéaste est ironique : méfiez-vous des images que je vous donne, dit-il ! Oui certes mais quand le train s’éloigne sans le spectateur qui voit l’écran noir fondre sur lui, la nostalgie de l’Image vous saisit . Encore…
Réalisateur:
Manoel de Oliveira
Pays du film:
Portugal
Date de production: 2009